
Inauguration de l'usine à gaz
Le 24 février 1878, Limoux fête son nouvel éclairage au gaz et rend hommage à la République, au suffrage universel et à la « lumière démocratique ».
Depuis 1866, les Limouxins, en quête d’un éclairage public digne de ce nom, envisagent d’avoir recours au gaz de houille. À partir de 1872, les républicains, désormais au pouvoir, comptent sur cette nouvelle énergie, signe de progrès, pour remplacer le pétrole d’éclairage jusqu’ici utilisé. Mais son déploiement suppose la construction d’une usine pour le produire sur place. Le chantier au nord de la Petite Ville, près de la nouvelle gare de Limoux, s’achève en janvier 1878. La date de son inauguration officielle est fixée le dimanche 24 février 1878. Elle n’est pas du tout choisie au hasard.
Limoux est alors en plein carnaval et la ville connaît aussi une nouvelle période d’effervescence politique et démocratique. Depuis plusieurs mois, la municipalité républicaine, divisée, est en crise au point de provoquer le retour comme maire, pour quelques mois, du monarchiste Georges Detours en remplacement d’Oscar Rougé. À peine celui-ci a-t-il fait la reconquête de son mandat le 21 janvier 1878 qu’il décide de briguer à nouveau un siège de député. Les élections législatives sont prévues le 3 mars. Les fêtes d’inauguration de la nouvelle usine à gaz sont donc fixées, opportunément, deux semaines et une semaine avant.
Pour l’occasion, le conseil municipal vote un crédit de mille deux cents francs. Une retraite aux flambeaux ouvre les festivités dès le mercredi 13 février. Mais c’est surtout le programme du dimanche 24 février qui met les petits plats dans les grands. Il prévoit notamment la distribution de bons de pain, l’organisation de jeux, un concert de la Musique de la ville, une Partie des Meuniers à 3 heures de l’après-midi, un banquet par souscription, un feu d’artifice et un bal public.
Hélas, le jour prévu, la pluie s’invite à la fête et empêche l’exécution d’une partie des réjouissances publiques projetées en plein air. Malgré tout, aux dires des témoins, elle ne vient pas gâcher la fête. Le grand banquet républicain, organisé dans la grande salle de l’Hôtel de Ville bien chauffé et éclairé pour la première fois au gaz, est maintenu. Il est l’occasion pour le maire, candidat à la députation, de remercier les constructeurs de l’usine et de porter un toast au triomphe définitif de la République à Limoux. Invité d’honneur, le sous-préfet boit à la « diffusion des lumières ». Mais le discours qui retient alors toute l’attention des convives est prononcé par le conseiller municipal et avocat Clovis Marcerou. Il n’hésite pas à associer avec lyrisme le déploiement du gaz au triomphe de la République : « Notre réunion est véritablement fraternelle et républicaine. C’est la première fois, peut-être, que le peuple de Limoux, depuis le 4 septembre, affirme dans son Hôtel-de-Ville, la République, c’est-à-dire, la liberté, la justice, le progrès. C’est le gaz que nous fêtons, mais c’est aussi la lumière démocratique, représentée par M. le sous-préfet de la République, par les ouvriers qui nous honorent de leur présence et par la municipalité de notre cité. ». Et d’associer à cette fête le souvenir de « la généreuse Révolution de 1848 » qui avait fondé trente ans auparavant jour pour jour « le suffrage universel, cette arme légale et pacifique, à l’aide de laquelle nous arriverons, nous ou nos descendants, à fonder la République universelle ». Et pour finir d’adresser, campagne électorale oblige, un toast dithyrambique au candidat Rougé qui trouvera « pour récompense d’être le mandataire d’un peuple libre et éclairé ». Et si l’on ose dire désormais bien éclairé au gaz aux bons soins de la municipalité républicaine. S’en suivirent plusieurs toasts au gaz de houille, à la République et à la Fraternité.
Il faudra attendre 1952 pour voir le gaz naturel se substituer partout dans la ville au gaz de houille. Les installations de l’usine seront démantelées entre les années 1950 et les années 1970. Reste à proximité du site toujours sous surveillance en raison de ses anciennes attributions, une rue, la bien nommée « rue du gaz », témoin du combat des Lumières de la République contre les Ténèbres d’un passé obscurantiste.
© Charles Peytavie
Illustrations :
La nouvelle usine à gaz de Limoux. Plaque de verre, collection Jean-Pierre Périz. Vers 1880-1890.
Annonce du programme de l’inauguration de la nouvelle usine à gaz de Limoux publiée dans le journal La Fraternité (21 février 1878).